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02 décembre 2008

Toscane

toscane,romain pages,fabienne bousseaud,philippe bousseaudRésidence itinérante accueillie par la région Toscane, ayant donné le jour à une nouvelle littéraire (Imago) accompagnée d'une "bibliothèque idéale" regroupant une vingtaine de titres d'auteurs toscans.
Second titre de la collection "Paysages et littérature", éditions Romain Pages 2004.

Photographies Fabienne et Philippe Bousseaud.
Ouvrage épuisé, seul reste quelques exemplaires.
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Imago (extrait)

[…] Lucca fut ma surprise, un signe posé comme un marque-page flamboyant. De grands courants d’air froid chassaient derrière des portes massives ou dans des arrière-cours les quelques timides candidats à la promenade, cependant que des cafés rutilants proposaient chacun un décor travaillé à l’extrême où la vie s’était réfugiée. Les cuivres lustrés avec soin se disputaient aux miroirs les rares instants de lumière de cette fin de journée. Lucca n’était pas éteinte mais dormante, aussi légère et limpide que le petit filet d’eau qui la traverse par la via di Fosse. Ce fut un vrai bonheur, une dérive en berceau. Tout ici arrondissait les angles de mon amertume.


Hors saison bénie où la piazza del Mercato, ancien amphithéâtre romain aux maisons colorées et arrondies, enfin rendue à elle-même vous reçoit en son sein. La panthère légendaire, symbole de la cité, m’habitait tout entier. Je guettais jusqu’au moindre détail les bruits et les odeurs d’une vie que je rêvais chaude et pleine, et où j’eusse aimé m’engouffrer, attendant patiemment le retour du printemps.
Il n’en fut rien. Ce confort n’était pas le mien. Lucca resterait une parenthèse idéalisée. J’en fis le tour une dernière fois comme on le fait d’un être aimé, dont on rassemble les mille visages dans l’espoir d’en préserver au moins un, vivace et animé.
L’astre déclinant avait mis toute la gamme des rouges à l’honneur. Je marchais sur les remparts de brique qui enserraient Lucca, la protégeant contre les crues catastrophiques du Serchio et offrant aux passants une promenade mariant les vues sur la plaine pisane, ainsi que d’autres plus curieuses et indiscrètes. La tour Guinigui conservait en son sommet un surprenant bouquet de chênes verts, jardin suspendu qui lui offrait une coiffe naturelle ornant jadis chacune des tours de la cité. Assis sur un banc entre deux haies de platanes, je revoyais sur l’Esplanade les tours de la première génération, ornées elles aussi de jardins,
mais cependant sans vie.
La nuit arrivait rapide et sûre. Je repris mon chemin, impatient de trouver un peu de chaleur auprès du vieux poêle. La route que j’empruntais alla pittoresca, « à la manière des peintres », déployait un tableau clair-obscur.
Ce soir là, je m’endormais en songeant à « la coalescence des étoiles binaires ». Initiant le feu à l’aide de papier journal, j’avais redécouvert – hasard s’il en est –, l’histoire de Virgo11, ce détecteur géant chargé de traquer les ondes gravitationnelles et dont les deux bras de trois kilomètres de long était installé à Cascina tout près de Pise. Les scientifiques qui travaillaient dans l’observatoire se disaient des pionniers et annonçaient l’entrée dans une astronomie nouvelle. Je pensais aux faisceaux d’énergie invisibles à nos yeux qui à leur manière infléchissent le cours de nos existences et dont les ondes nous parviennent des
années plus tard.
Le printemps approchait. Ses effluves soulevées par un vent chaud me parvenaient de temps à autre sonnant l’heure d’un nouveau départ. Je repris ma route, à la fois seul et si multiple. «
Si je résiste à cette transition, je ne serai jamais ni chenille, ni papillon », pensais-je.

10:15 Publié dans / édition